Ressources bibliographiques

Pablo Neruda - Ode à la vie

In Odes Élémentaires

Poésie/Gallimard, Collection du Monde Entier, novembre 1974

 

Toute la nuit,

avec une hache,

la douleur m’a frappé,

mais le sommeil

a passé, lavant comme une eau sombre

des pierres ensanglantées.

Aujourd’hui de nouveau je suis vivant.

De nouveau

je te soulève,

vie,

sur mes épaules.

 

O vie,

coupe claire,

soudain tu t’emplis

d’eau sale,

de vin mort,

d’agonie, de pertes,

de surprenantes toiles d’araignée,

et beaucoup croient

que cette couleur d’enfer

tu la garderas pour toujours.

 

Ce n’est pas vrai.

 

Passe une nuit lente,

passe une seule minute

et tout change.

La coupe de la vie

s’emplit

de transparence.

Le travail spacieux

nous attend.

D’un seul coup naissent les colombes.

La lumière s’établit sur la terre.

 

Vie, les pauvres

poètes

t’ont crue amère,

ils ne sont pas sortis du lit

avec toi,

avec le vent du monde.

 

Ils ont reçu les coups

sans te chercher,

ils se sont foré

un trou noir,

ils se sont enfoncés

dans le deuil

d’un puits solitaire.

 

Ce n’est pas vrai, vie,

tu es

belle

comme celle que j’aime

et entre tes seins il y a

une odeur de menthe.

 

Vie

tu es

une machine pleine,

bonheur, bruit

d’orage, tendresse

d’huile délicate.

 

Vie,

tu es comme une vigne :

tu t’enrichis de lumière puis la donnes

transformée en grappe.

 

Que celui qui te renie

attende 

une minute, une nuit,

une année longue ou courte,

qu’il sorte

de sa solitude menteuse,

qu’il cherche et lutte, joigne

ses mains à d’autres mains,

qu’il n’adopte ni ne flatte

le malheur,

qu’il le repousse en lui donnant

forme de mur

comme font les carriers de la pierre,

qu’il coupe le malheur

et s’en fasse

des pantalons.

La vie nous attend

tous

qui aimons

la sauvage

odeur de mer et de menthe

qu’elle a entre les seins.

 

 

François Cheng - Quatrain

In Enfin le Royaume

Poésie/Gallimard, janvier 2019

Nuage un instant

apprivoisé,

Tu nous délivres

de notre exil.

 

 

 

 

Jean-Pierre Siméon - La Différence

In La Nuit respire

Le Chambon-sur-Lignon, Éditions Cheyne, 1997

Pour chacun une bouche deux yeux
deux mains deux jambes

Rien ne ressemble plus à un homme
qu’un autre homme

Alors
entre la bouche qui blesse
et la bouche qui console

entre les yeux qui condamnent
et les yeux qui éclairent

entre les mains qui donnent
et les mains qui dépouillent

entre le pas sans trace
et les pas qui nous guident

où est la différence
la mystérieuse différence ?